La fille du pont

Août 2019

On ne savait pas très bien comment l’appeler. Certains disaient « la poupée », d’autres « la marionnette », d'autres encore « la pendue »... J'ai fini par dire « la fille du pont ». La première fois que je l’ai vue, de loin, en passant à vélo, pressée, j’ai cru à un jeu ; on se jette du haut des ponts avec un élastique, on peut bien y faire de la balançoire. On devait attendre quelque part son tour pour l’attraction...

 

La deuxième fois, c’était la même fille au pull rouge, les mêmes cheveux blonds, la même posture. J’ai posé mon vélo, et quand j’ai enfin admis que c’était une installation, elle a commencé à me fasciner. Jour après jour, je suis revenue lui tourner autour pour essayer de comprendre ce qu’elle faisait là. Je ne comprenais pas, mais je revenais encore. Et alors j’ai entendu ce que les passants disaient, vu comment ils la regardaient - ou pas. Surprise, incrédulité, inquiétude, indifférence aussi. A la tombée du jour, la grande roue illuminée, de l’autre côté de la Garonne, attirait plus facilement les regards et les smartphones que ce mannequin à l’attitude tellement humaine, qui faisait tout de même bien flipper certains. Je continuais à la trouver géniale dans son énigmatique attitude, en suspens dans les airs, en suspens dans un questionnement d'autant plus insondable qu’elle n’avait pas de visage. Et si judicieusement placée dans la ville, dans ce centre névralgique de la place Saint Pierre où toutes les populations se croisent, familles, amoureux, touristes, bandes de copains, promeneurs, noctambules, étudiants en bizutage… Elle était là pour tous et pour chacun. Jour après jour, elle résistait à la pluie, au soleil, aux bourrasques de vent. Au bout de quelques semaines, tout le monde la connaissait, elle faisait partie du paysage. 

 

J’ai découvert qu’elle était l’œuvre d’un américain, Mark Jenkins, mais je n’ai pas cherché à connaître son intention. Mes questions me suffisaient amplement, ainsi que mes rencontres fortuites avec les autres visiteurs.

 

Et puis un jour, la fille du pont a disparu.